Il n’est peut-être pas inutile de
proposer aux dirigeants des entreprises et aux jeunes générations de qualiticiens un résumé,
sans doute simpliste, mais digeste, de l’évolution des usages de la qualité par les
entreprises, depuis la deuxième partie du vingtième siècle.
Souvent, l’histoire récente de la qualité
est présentée sous un angle technique qui décrit bien plus l’évolution des modes de
production de la qualité dans les entreprises, que celle des usages qu’elles en
ont fait.
Mais l’entreprise investit dans la qualité
pour s’en servir. Comment ces usages ont-ils évolué ?
Après la seconde guerre mondiale
Après la seconde guerre mondiale l’entreprise
utilise la qualité dans l’industrie pour éviter que les produits, non-conformes
aux spécifications annoncées, soient livrés aux clients. (Digue des non-qualité livrées)
Ces digues qui prennent la forme de
contrôles finaux, mettent en évidence des coûts élevés de non-qualité.
Les entreprises industrielles rentrent
alors dans une phase d’usage de la qualité destinée à corriger les non-qualité
au plus près de leur production ; pour réduire ces coûts.
Ensuite, toujours pour réduire les coûts,
les entreprises mettent en place sur les postes de travail des systèmes de
maîtrise des risques d’apparition de ces non-qualité.
Ces démarches perdurent aujourd’hui et constituent un des axes du socle de base de l’usage de la qualité.
A cette époque, l’entreprise s’intéresse
peu à la satisfaction des clients parce que l’économie de production est
présente dans tous les secteurs d’activités.
Les services sont peu développés,
faiblement valorisés, et conservent une forme artisanale. L’usage de la qualité
dans les services est alors destiné à fidéliser le client en lui montrant « l'art de bien faire du personnel en front office ».
A partir des années 80
A partir des années 80, les donneurs
d’ordres utilisent le pouvoir économique qu’ils ont acquis sur leurs
fournisseurs pour réduire la non-qualité que ces derniers leur livrent. Souvent, ces fournisseurs n’ont pas encore pu investir
comme eux pour limiter les coûts internes de non-qualité. Ils exigent que les
fournisseurs se conforment aux règles de production de la qualité qu’ils ont
appliqué en interne. La mondialisation accentue ces initiatives.
(Certification, audits externes)
De leur côté, les fournisseurs, qui sont encore
souvent des entreprises petites et moyennes, utilisent la qualité pour
conserver les donneurs d’ordres comme clients, en respectant les règles qui
leur sont imposées dans leurs modes de production. (Assurance qualité interne)
L’assurance qualité constitue le
deuxième axe du socle de base de l’usage de la qualité.
De nombreuses entreprises cherchent
également à utiliser la qualité pour développer les dynamiques d’amélioration
continue en mobilisant les compétences du personnel qui contribue à la
production de valeurs. Elles ont recours à des techniques appliquées au Japon. (Cercles
qualité, Lean, etc.)
La qualité, utilisée comme levier pour améliorer la productivité par un management collaboratif de type « bottom up » est le troisième axe du
socle de base de l’usage de la qualité.
Les donneurs d’ordres commencent à sentir également la pression de la concurrence et développent leur force de vente et leur
anticipation de l’évolution des marchés. La qualité est alors utilisée, avec le
marketing, comme moyen pour satisfaire des clients afin de les fidéliser. Elle
s’intègre aux services associés aux produits et des mécanismes de « réactivité
à l’écoute des clients » se développent. On fait pénétrer la « voix du
client » dans l’entreprise
Cet usage de la qualité s’étend alors aux activités
de services qui sont en plein développement, La qualité des services est utilisée
pour éviter les pertes de clients dues à des dysfonctionnements critiques en
« front office » visibles par les clients. (Standardisation des
services)
La qualité utilisée pour fidéliser le client est le quatrième axe du socle de base de l’usage de la qualité.
A la fin du vingtième siècle
A la fin du vingtième siècle de
nouvelles exigences des clients apparaissent. Le client est un citoyen qui prend conscience
de risques environnementaux et sociétaux. Il attache de plus en
plus d’importance à la maîtrise de ces risques. L’entreprise utilise alors la qualité pour se conformer à
des normes sociétales.
La qualité utilisée pour répondre aux exigences sécuritaires et de protection de l’environnement est le cinquième axe du socle de base de l’usage de la qualité
La qualité utilisée pour répondre aux exigences sécuritaires et de protection de l’environnement est le cinquième axe du socle de base de l’usage de la qualité
Ces différentes formes d’usages de la
qualité se superposent en couches géologiques dans les entreprises, et leur
imposent des usages « défensifs » de la qualité. L’usage de la
qualité est globalement perçu comme une protection contre des évolutions socio économiques environnementales incontournables. Il a un coût de plus en plus élevé. Le service qualité que l’entreprise a dû créer, coûte cher et impose des
contraintes qui réduisent les espaces de développement. .
Au début du vingt et unième siècle
Au début du vingt et unième siècle, la
pression concurrentielle s’exerce d’une manière de plus en plus forte sur les
entreprises, et les clients sentent qu’ils peuvent prendre le pouvoir dans les
échanges avec elles. L’entreprise ne peut plus utiliser uniquement la qualité
pour se défendre, mais prend conscience qu’elle peut l’utiliser pour créer des contre pouvoirs en perçant les
marchés grâce à l’innovation, et aux performances des nouveaux modes
de communication.
Cet usage offensif de la qualité permet
alors des croissances rapides à l’échelle mondiale.
L’innovation : technologique, et dans les
services, associée au marketing mis au service de la créativité et d’une
qualité offensive, provoquent des effets de levier considérables et laissent les
concurrents sur place. Ce nouvel usage de la qualité ne repose plus sur des
méthodologies de maîtrise de la variabilité et de conformité à des
référentiels, mais sur des nouvelles méthodologies de « régulation dynamique
du développement » ciblées par le marketing.
La qualité utilisée pour percer les
marché saturés est le sixième axe du socle de base de l’usage de la qualité.
Depuis quelques années
Enfin depuis quelques années, l’entreprise
est soumise, dans les pays développés, à une évolution de son corps social. La concurrence s’étend au recrutement de son
personnel. Le management est en crise.
Certaines entreprises cherchent à utiliser
la qualité dans les échanges entre les managers et leurs collaborateurs, pour
les attirer, les motiver, et les fidéliser. La qualité doit appliquer des
méthodologies analogues à celles mises en œuvre récemment dans les échanges
avec les acteurs des marchés. Cette nouvelle évolution de l’usage de la
qualité provoque des mutations profondes dans les modes de management et de
recrutement.
La qualité utilisée pour accroître d’adhésion, et la participation du personnel est le septième axe du socle de base de l’usage de la qualité.
Toutes ces évolutions de l’usage de la
qualité par les entreprises qui s’accumulent, renforcent le rôle des services
qualité et imposent : de reconsidérer les formations de leur personnel, et de faire
évoluer leurs missions et leur organisation.
Peut-on dresser un bilan de cette
histoire récente ?
Il faudrait réaliser une analyse
scientifique qui n’est pas de nos compétences. Nous pouvons cependant prendre le
risque de donner un point de vue.
Les entreprises qui n’ont pas suivi ces
évolutions ont pratiquement disparu.
Les efforts accumulés pour utiliser la
qualité ont été peu payants lorsque les entreprises ont fait du mimétisme (rien
à voir avec le «Benchmark »).
Les axes de progrès engagés ont souvent
été modifiés avant que les retours sur investissement soient complètement
obtenus. (Changement de manager, et de responsable du service qualité, nouvelles
priorités, etc.)
Les mesures de retour sur investissement
des démarches qualité ne sont pas toujours faites. On se limite à des mesures
de satisfaction des clients, ou de coûts d’obtention de la qualité, ce qui ne
motive pas suffisamment les dirigeants.
Les stratégies trop souvent défensives des
démarches qualité leur donnent un caractère obligatoire, imposé, dépensier, rigide,
artificiel, déconnecté des priorités économiques de l’entreprise.
Nous avons rencontré des entreprises qui
ont obtenu des succès importants et durables en intégrant complètement, spécifiquement,
et le plus naturellement possible, l’usage de la qualité à leur culture et à
leurs ambitions. Ces entreprises, en
général, n’ont pas subi les effets de mode, et évitent de communiquer sur leurs
démarches qui sont devenues un de leurs principaux facteurs de compétitivité.
Elles sollicitent des visites d’experts pour réaliser des diagnostics ouvrant
sur de nouvelles pistes de progrès. Elles font signer systématiquement des
clauses de confidentialité à ces consultants.
Mais nous avons aussi rencontré des
entreprises qui, en plein succès de leurs démarches qualité, ont régressé
rapidement à la suite de mauvais choix méthodologiques ou stratégiques qui ont
traumatisé leur corps social.
Le potentiel de performance offert à l’entreprise
par un bon usage de la qualité reste un équilibre très fragile.