Replacer la qualité au cœur des enjeux économiques
Un nouveau
courant de pensée émerge lentement, parmi les spécialistes de la qualité, pour
recentrer la manière de s’en servir dans les entreprises, et lui redonner la
place qu’elle doit occuper parmi les moyens qui favorisent leurs développements
dans un environnement en profonde mutation. Cet article est une de nos
contributions à ce courant.
Comme la signification du terme qualité est
complexe, on peut en avoir des visions partielles différentes : vision
sociale, (bien faire), vision marketing (satisfaire le client), vision
rationnelle (se conformer à un plan, un référentiel, une maquette, etc.), vision
technologique (bonne performance technique), etc.
Lorsqu’on cherche à produire, et utiliser
la qualité, avec une finalité économique, ce qui est le cas de tout dirigeant
d’entreprise, la qualité n’est plus, comme dans les visions précédentes, une
fin en soi, mais un moyen pour que les échanges, entre l’entreprise et les
acteurs économiques qui l’entourent, soient durablement les plus profitables
possibles pour l’entreprise.
C’est cette vision que les dirigeants ont
de la qualité. C’est une vision différente des précédentes, qui est moins
séduisante, mais plus utile.
Le qualiticien passionné sait parfaitement
que c’est cette vision qui doit primer dans l’entreprise. Mais sa passion ne
peut pas l’empêcher de faire transpirer ses autres visions, plus nobles, dans
ses discours et comportements. Il provoque alors un doute permanent chez les
managers et autres salariés : « le qualiticien voudrait-il faire
jouer un autre rôle principal à l’entreprise que celui de créer des retours sur
investissement financiers toujours plus importants ? »
Ce doute est souvent un prétexte, pour faire passer la qualité au
second rang dans leurs décisions, et leurs actions.
Pour faire entrer la qualité dans cette finalité
de l’entreprise, le qualiticien introduit les notions de coût de la non-qualité,
et de coût d’obtention de la qualité, qui sont destinés à montrer aux
dirigeants que le management de la qualité peut contribuer à l’amélioration de
la productivité. Cette démarche, fort utile, réduit la qualité à sa composante
rationnelle qui consiste à obtenir du premier coup un résultat conforme à un
objectif défini par des spécifications mesurables. Elle va jusqu’à chercher à
limiter le plus possible la criticité des risques de non-conformité en rendant
plus robuste la configuration de l’entreprise, au risque de lui faire perdre sa
capacité à profiter des évolutions de son environnement pour progresser.
La perception de ce danger amène certains spécialistes
du management à véhiculer de nouveaux messages de rupture, reposant sur des
termes séduisants comme : « agilité », ou « entreprise
libérée ». Ces concepts, présentés comme innovants, reprennent en réalité
des idées appliquées depuis plus de cinquante ans dans de nombreuses
entreprises. (Certes sans doute pas assez nombreuses)
On pourrait penser que ces démarches sont
utiles parce qu’elles vont accentuer l’évolution d’un plus grand nombre
d’entreprises vers une exploitation plus efficiente des opportunités nées de l’évolution
de leurs environnements socio-économiques.
Malheureusement les slogans véhiculés,
choisis pour être plus facilement repérés au milieu d’une foule de
préconisations, toujours plus impressionnantes, pour améliorer le management
des entreprises, sont de plus en plus perçus comme des potions magiques dont le
seul intérêt est d’enrichir les consultants. Ces démarches ne sont donc plus
crédibles aux yeux des dirigeants.
On retrouve les travers qui ont provoqué,
pendant de nombreuses années, un usage trop limité de la qualité pour améliorer
les performances des entreprises. Ces styles de management ne sont pas des fins
en soi universelles, mais éventuellement des moyens, parmi d’autres, pour faire
progresser certaines entreprises dans certaines situations. Ils sont d’ailleurs
présentés comme cela par leurs créateurs.
Tous ces messages ne font que masquer une
idée simple :
« un
des principaux usages de la qualité est d’utiliser la manière dont la qualité des
prestations de l’entreprise, offertes à ses différentes parties prenantes, est
perçue et jugée par elles, pour obtenir en contrepartie les ressources de son
développement dans un milieu instable qui est porteur de très nombreuses
opportunités. »
En présentant ce mode d’usage de la
qualité, par une communication qui voudrait faire rêver, en donnant l’impression de révolutionner le
management, on ne fait que le décrédibiliser aux yeux des dirigeants plongés
dans les réalités quotidiennes, alors qu’il est une composante essentielle des
apports de la qualité au développement des entreprises.
Une fois de plus la qualité va perdre une
part importante de son crédit alors qu’elle pourrait jouer un rôle capital dans
cette période de profondes mutations.
Pourquoi les erreurs, que nous avons certainement
contribué à produire dans le passé, par manque d’humilité, pour promouvoir la
qualité, se reproduisent-elles à nouveau ? Comment les éviter ?
La qualité comme moyen, peut remplir des fonctions d’usage très
différentes suivant la nature des relations qui existent ou qui devraient
exister entre l’entreprise et chacun des acteurs qui l’entourent. (Séduction,
satisfaction, confiance, rentabilité, conformité, accessibilité, etc.)
Suivant les fonctions d’usage de la
qualité, la nature des relations de l’entreprise avec ces acteurs, et leurs
histoires, la production de la qualité prendra aussi des formes très
différentes. On ne produit pas de la même manière la qualité en front office et
en back office. Et en back office on ne produit pas la qualité de la même
manière lorsqu’on s‘en sert dans une fabrication unitaire, ou en série, en
conception, ou dans une démarche d’innovation. Enfin, la qualité n’est pas
utilisée de la même manière lorsqu’on est en situation de monopole ou de
concurrence exacerbée.
La production de la qualité doit aussi
s’adapter à tous les styles de management. La qualité ne peut pas être un style
de management. Les spécialistes de la qualité ne sont pas qualifiés pour être
des donneurs de leçons en matière de management. Je m’oppose depuis toujours au
concept véhiculé depuis trente ans en France, et seulement en France, qui est
celui de « management par la qualité ». On ne manage pas par la
qualité, on utilise la qualité dans son management.
On peut tenter de recourir à des modèles
de la systémique générale pour essayer de trouver des repères communs à toutes
ces formes d’usage et de production de la qualité. Ces modèles permettent de
créer une culture commune, et des conventions entre les différents acteurs.
La maîtrise de la complexité passe par
l’élaboration de tels modèles provisoires qui évoluent en permanence au fur et
à mesure que les connaissances s’enrichissent. Les normes ISO 9000 entre dans
cette catégorie de moyens.
Mais ces modèles ne peuvent qu’être des
moyens pour se repérer et échanger avec les acteurs qui sont en relation avec
l’entreprise. Il n’est pas possible de réduire la maîtrise de la complexité de
la production et de l’usage de la qualité dans une entreprise à la conformité à
un modèle. Sinon on perd une part essentiel de l’usage possible de la
complexité de l’entreprise pour assurer sa survie ou son développement. De plus
ces modèles peuvent être contestés, dans certaines circonstances, comme moyens
pour produire et utiliser la qualité.
La norme, prise comme une exigence
universelle, est un danger excessivement grave qui nuit considérablement à
l’efficience de l’usage et de la production de la qualité par les entreprises.
Ce n’est pas la norme qui est un danger,
mais l’usage collectif coercitif qui en est fait.
De la même manière la boîte à outils à
utiliser pour réaliser ces différentes formes de productions est donc
obligatoirement vaste et ne peut pas se réduire à une méthodologie universelle
de type : « couteau suisse ».
Par exemple, de nombreuses critiques portent
aujourd’hui sur les méthodes classiques de résolution des problèmes qui font
depuis de nombreuses années partie de la boîte à outils du qualiticien. Elles
reposent sur des mécanismes logiques simplistes qui ne peuvent pas guider la
résolution des problèmes complexes que rencontrent le plus souvent les
entreprises. Elles renvoient systématiquement à la même classe de causalité qui
n’est qu’un petit échantillon des causalités possibles, et engendre des
solutions d’une faible efficience, rapidement contestées.
L’approche systémique des problèmes, le
reengineering, sont d’autres méthodes qui dans certaines situations peuvent
être très efficaces.
Là encore, ce n’est pas la méthode qui est
en cause mais l’universalité de sa prescription par les qualiticiens qui fait
souvent sourire les techniciens et les ingénieurs, qui dans leurs spécialités,
ont recours à des outils spécifiques plus sophistiqués.
Ces exemples montrent que la production et
l’usage de la qualité dans les entreprises doivent se fondre le plus
naturellement possible dans les processus de l’entreprise, et dans les
relations que l’entreprise entretient avec ses parties prenantes. Ce n’est pas
l’entreprise, organe économique d’une très grande complexité, qui doit se
conformer aux modèles des qualiticiens, mais les qualiticiens qui doivent
adapter leurs contributions aux spécificités de l’entreprise, pour valoriser
ses atouts.