Un salarié, plongé au cœur d’une
entreprise, possède naturellement des visions diverses et complexes de la
qualité.
Ses managers et le service qualité
essaient de lui montrer que la production de la qualité, dans la réalisation de
ses missions, doit se centrer sur une conformité aux règles et objectifs qui lui
sont assignés, et doit également intégrer une force de propositions pour améliorer
la productivité dans le respect de ces contraintes.
La maîtrise de la complexité de la vie
collective d’une entreprise incite naturellement
les managers, qui possèdent souvent une culture d’ingénieur, à introduire des
règles rationnelles communes. Mais ces règles ont souvent des sources multiples
qui les accumulent sans concertation suffisante. On constate par ailleurs que
les méthodes de résolution des problèmes utilisées ont tendance à déboucher
régulièrement sur des solutions qui enrichissent encore ces règles et
objectifs.
La rationalité de ces règles et objectifs,
qui sont plus ou moins imposés au salarié, laisse peu de place aux initiatives
et le transforme plus ou moins en un robot qui adopte systématiquement des
comportements standards, ou qui applique des règles prédéfinies de type :
« si…alors ».
Il ne peut que perdre sa personnalité et
toute la richesse complexe du potentiel de compétences qui lui est attaché,
pour devenir un automate uniquement capable de guider ses actions par rapport
aux repères rationnels fournis par des règles et objectifs. Or ce ne sont que des modèles imparfaits de la
réalité complexe dans laquelle le salarié est plongé. Il peut essayer de déroger
à ces règles et objectifs, pour essayer de « bien faire » comme sa
personnalité l’incite à le faire, mais il prend alors des risques importants
d’être déjugé par ses managers et le service qualité,
Il ne peut pas, comme le management
classique de la qualité le suggère, proposer périodiquement des améliorations
dans ces règles et objectifs pour les
adapter à la complexité réelle, et souvent imprévisible, de la situation dans
laquelle il réalise ses missions, parce que, par essence, il n’est pas possible
de substituer des modèles rationnels, aussi précis soient-ils, à une situation
complexe. Seule, jusqu’à présent, la richesse complexe des comportements
humains peut maîtriser, ou se servir, de la complexité, et de la variabilité,
des situations rencontrées.
C’est peut-être en médecine que le danger
de la rationalisation des missions au titre de la qualité et de la
productivité, est la plus dramatique. On observe régulièrement du personnel
fortement démotivé par ces règles et objectifs qui ne correspondent pas à sa
vision de la qualité des services qu’il voudrait offrir aux patients, et à la
variété des situations rencontrées. La « technocratisation » de la
pratique médicale demande au prestataire, comme au patient, de se transformer
en automates appliquant des règles conçues par des personnes persuadées que le
progrès médical, à moindre coût, impose cette dépersonnalisation du colloque
singulier. Cette situation entraîne une dégradation de la qualité des services,
et même très souvent de la sur-qualité très couteuse, par la prescription
d’actes inutiles, mais fortement systématiquement recommandés.
D’une manière générale, cette
transformation en automate assure au salarié une rémunération mensuelle
conforme au contrat qui le lie à l’entreprise. C’est le seul bénéfice qu’il
peut retirer de la qualité qu’il produit au cours de la réalisation de ses
missions. Certains diront que c’est déjà pas mal dans la situation actuelle.
Mais un être humain, qui n’est pas
heureusement un automate ne peut pas se laisser enfermer dans une « cage
de rationalité ». Le principal moteur de la production de la qualité pour
un être humain est d’abord le « bien
faire pour se faire plaisir », qui peut encore se nommer :
« Produire de la qualité pour : se
faire plaisir en réalisant la production, et obtenir les contreparties
attendues de la part des bénéficiaires de son activité. »
La production individuelle de la qualité
est d’abord une démarche égocentrique : « Je travaille pour moi, et
j’essaie de me faire plaisir en faisant bien mon travail. Cette
vision est présente dans toutes les
entreprises. Lorsque je réalise un diagnostic qualité (et non un audit), ce qui
est souvent encore appelé : « visite qualité », mon premier
repère de l’efficience d’une démarche qualité est le plaisir des salariés que
je perçois, lorsqu’ils produisent la qualité intégrée à leurs missions. Je
considère que l’absence de plaisir perceptible est un signe probable de non qualité.
Il est certes facile de comprendre que
pour optimiser une production de produits et services systématiquement
conformes à des spécifications rationnelles prédéfinies, le premier réflexe de
l’entreprise est de chercher à automatiser le plus complètement possible cette
production. Mais elle ne doit pas oublier qu’elle est plongée dans un environnement
complexe, variable, et évolutif, qui aura tendance plus ou moins rapidement à
la marginaliser, voir la faire disparaître.
Inciter ses salariés à conserver
individuellement et en « task force »
la maîtrise de la production de la qualité de la valeur ajoutée de
l’entreprise, dans le respect de règles communes destinées à gérer le
« produire ensemble avec un projet commun », est un moyen essentiel
pour se servir de la complexité de l’environnement socio-économique de
l’entreprise, pour développer ses activités.
C’est sans doute la finalité des slogans
actuels : « agilité » et « entreprise libérée ».