C’est une problématique qu’il
est difficile d’aborder sereinement sans passer pour un défenseur inconditionnel
des salariés, ou au contraire pour un « vendu » aux chefs
d’entreprises.
La
contribution d’un salarié à la production de la qualité dans l’entreprise
nécessite une forte croyance de sa part dans la possibilité de « se réaliser » par son travail.
On peut encore exprimer
cette évidence par le slogan :
Produire
de la qualité impose des efforts qui doivent produire aussi le plaisir
recherché pour les fournir.
Lorsqu’on cherche à
étudier les situations sociales qui freinent la production de la qualité au sein d’une
entreprise, on observe toujours les mêmes facteurs.
La diminution du temps de
travail, l’accès permanent à l’extérieur de l’entreprise par des moyens de plus
en plus performants de communication, la croissance des difficultés rencontrées
par les salariés dans leur vie privée, l’appartenance de plus en plus faible à
une coalition d’intérêts représentée par l’entreprise, un management inconsciemment
anti-qualité, sont autant de facteurs préjudiciables à la production de la
qualité et souvent ils s’accumulent.
Lorsque la vie privée
devient plus prégnante que la vie professionnelle, le salarié est obligé de
penser plus à sa vie privée qu’à son travail. Le travail devient un obstacle à
la bonne réalisation de sa vie privée.
Le temps passé à la vie
privée devient tel qu’on ne peut plus l’oublier pendant son travail. Le travail
devient un accessoire destiné à alimenter les ressources nécessaires à la vie
privée. C’est de plus en plus une contrainte inévitable. Le salarié préfère
« se réaliser » dans sa vie privée, qu’il pense mieux maîtriser que
sa vie professionnelle.
Le salarié peut plus
facilement continuer à réaliser certaines activités de sa vie privée pendant
son travail grâce aux moyens modernes de
communication. Ces attitudes sont souvent la cause de la non qualité qu’il produit. Elles produisent
une perte de concentration sur le travail.
L’entreprise cherche à compenser ses pertes de
productivité liées à la diminution du temps de travail par une accélération du
rythme de travail qui devient incompatible avec la production de la qualité. La
croissance et l’accélération des flux d’informations dans l’entreprise inondent
les salariés d’informations qu’ils n’arrivent plus à exploiter. Ils ont l’impression
de surfer sur des vagues d’informations.
Les restructurations
permanentes font disparaître la notion de territoire d’appartenance de l’entreprise
pour le salarié, et de coalition d’intérêts. L’entreprise devient un lieu de
passage où on vient faire son marché.
La volonté d’assurer la
qualité produite par des normes organisationnelles et comportementales
parachutées sans coproduction avec les salariés chargés de les appliquer, et
non qualifiées, accroît la perte de sens du travail. Ces normes sont trop
souvent appliquées par un recours intempestif à des procédures, souvent naïves,
difficilement applicables, et déconnectées de la réalité complexe de
l’entreprise. Cette situation complète l’arsenal de démotivation des salariés.
Les systèmes d’évaluation
de salariés sont souvent conçus davantage pour faciliter leur exploitation
informatique que pour créer une dynamique de progrès.
Les efforts nécessaires
pour produire la qualité produisent certains effets positifs immédiats lorsque
l’entreprise possède une culture managériale adaptée, et d’autres à plus long
terme.
Mais actuellement, la
gestion à court terme des entreprises sous la pression d’un environnement
volatile, fait perdre au management ses réflexes de valorisation permanente des
salariés par la reconnaissance de la qualité qu’ils produisent. Quant au retour
sur investissement à long terme, c’est un objectif qui n’est plus crédible.
Une mise sous contrôle
des salariés conçue comme seule source d’évaluation, et non exploitée comme
source de progrès partagés, vient souvent compléter ce diagnostic multi causale
de la production de plus en plus fréquente d’une non qualité masquée, qui coûte
très chère à l’entreprise, sans qu’elle s’en aperçoive. Cette maladie chronique,
sans douleurs apparentes, risque à terme de tuer l’entreprise.
La partie invisible de l’iceberg
de la non qualité s’accroît malgré les outils informatiques de plus en plus
sophistiqués de mesure des coûts de la non qualité.
Tout le monde dans l’entreprise
sent la fumée, mais les détecteurs de la signalent pas. Le feu couve. Quand l’incendie
se propage il est trop tard.
Même si ce diagnostic fait
l’effet d’un diagnostic génétique qui annonce
une maladie qui se produira à un certain âge et qu’on ne sait pas soigner, il
est nécessaire pour mettre à jour une prise de conscience collective qui n’ose
pas s’exprimer.
On dit qu’un problème
bien posé est à moitié résolu. J’espère avoir contribué à commencer à le poser.
Il existe heureusement de
nombreuses entreprises qui ont su s’immuniser contre ces sources de non
qualité. Ce ne sont pas toujours celles qui mettent le plus en vitrine leurs
performances dans ce domaine.
Comme pour de nombreuses
maladies les remèdes existent sûrement dans la nature. Encore faut-il les
trouver.