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mardi 15 mars 2016

La production de la qualité ne peut pas s’enfermer dans une cage de rationalité


Un salarié, plongé au cœur d’une entreprise, possède naturellement des visions diverses et complexes de la qualité.

Ses managers et le service qualité essaient de lui montrer que la production de la qualité, dans la réalisation de ses missions, doit se centrer sur une conformité aux règles et objectifs qui lui sont assignés, et doit également intégrer une force de propositions pour améliorer la productivité dans le respect de ces contraintes.

La maîtrise de la complexité de la vie collective d’une entreprise incite naturellement les managers, qui possèdent souvent une culture d’ingénieur, à introduire des règles rationnelles communes. Mais ces règles ont souvent des sources multiples qui les accumulent sans concertation suffisante. On constate par ailleurs que les méthodes de résolution des problèmes utilisées ont tendance à déboucher régulièrement sur des solutions qui enrichissent encore ces règles et objectifs.

La rationalité de ces règles et objectifs, qui sont plus ou moins imposés au salarié, laisse peu de place aux initiatives et le transforme plus ou moins en un robot qui adopte systématiquement des comportements standards, ou qui applique des règles prédéfinies de type : « si…alors ».

Il ne peut que perdre sa personnalité et toute la richesse complexe du potentiel de compétences qui lui est attaché, pour devenir un automate uniquement capable de guider ses actions par rapport aux repères rationnels fournis par des règles et objectifs. Or ce  ne sont que des modèles imparfaits de la réalité complexe dans laquelle le salarié est plongé. Il peut essayer de déroger à ces règles et objectifs, pour essayer de « bien faire » comme sa personnalité l’incite à le faire, mais il prend alors des risques importants d’être déjugé par ses managers et le service qualité,

Il ne peut pas, comme le management classique de la qualité le suggère, proposer périodiquement des améliorations dans ces règles et objectifs  pour les adapter à la complexité réelle, et souvent imprévisible, de la situation dans laquelle il réalise ses missions, parce que, par essence, il n’est pas possible de substituer des modèles rationnels, aussi précis soient-ils, à une situation complexe. Seule, jusqu’à présent, la richesse complexe des comportements humains peut maîtriser, ou se servir, de la complexité, et de la variabilité, des situations rencontrées.

C’est peut-être en médecine que le danger de la rationalisation des missions au titre de la qualité et de la productivité, est la plus dramatique. On observe régulièrement du personnel fortement démotivé par ces règles et objectifs qui ne correspondent pas à sa vision de la qualité des services qu’il voudrait offrir aux patients, et à la variété des situations rencontrées. La « technocratisation » de la pratique médicale demande au prestataire, comme au patient, de se transformer en automates appliquant des règles conçues par des personnes persuadées que le progrès médical, à moindre coût, impose cette dépersonnalisation du colloque singulier. Cette situation entraîne une dégradation de la qualité des services, et même très souvent de la sur-qualité très couteuse, par la prescription d’actes inutiles, mais fortement systématiquement recommandés.

D’une manière générale, cette transformation en automate assure au salarié une rémunération mensuelle conforme au contrat qui le lie à l’entreprise. C’est le seul bénéfice qu’il peut retirer de la qualité qu’il produit au cours de la réalisation de ses missions. Certains diront que c’est déjà pas mal dans la situation actuelle.

Mais un être humain, qui n’est pas heureusement un automate ne peut pas se laisser enfermer dans une « cage de rationalité ». Le principal moteur de la production de la qualité pour un être humain est d’abord le « bien faire pour se faire plaisir », qui peut encore se nommer :

« Produire de la qualité pour : se faire plaisir en réalisant la production, et obtenir les contreparties attendues de la part des bénéficiaires de son activité. »

La production individuelle de la qualité est d’abord une démarche égocentrique : «  Je travaille pour moi, et j’essaie de me faire plaisir en faisant bien mon travail. Cette vision  est présente dans toutes les entreprises. Lorsque je réalise un diagnostic qualité (et non un audit), ce qui est souvent encore appelé : « visite qualité », mon premier repère de l’efficience d’une démarche qualité est le plaisir des salariés que je perçois, lorsqu’ils produisent la qualité intégrée à leurs missions. Je considère que l’absence de plaisir perceptible est un signe probable de non qualité. 

Il est certes facile de comprendre que pour optimiser une production de produits et services systématiquement conformes à des spécifications rationnelles prédéfinies, le premier réflexe de l’entreprise est de chercher à automatiser le plus complètement possible cette production. Mais elle ne doit pas oublier qu’elle est plongée dans un environnement complexe, variable, et évolutif, qui aura tendance plus ou moins rapidement à la marginaliser, voir la faire disparaître.

Inciter ses salariés à conserver individuellement et en « task force »  la maîtrise de la production de la qualité de la valeur ajoutée de l’entreprise, dans le respect de règles communes destinées à gérer le « produire ensemble avec un projet commun », est un moyen essentiel pour se servir de la complexité de l’environnement socio-économique de l’entreprise, pour développer ses activités.

C’est sans doute la finalité des slogans actuels : « agilité » et « entreprise libérée ».

 

 

 

samedi 5 mars 2016


Replacer la qualité au cœur des enjeux économiques

 
Un nouveau courant de pensée émerge lentement, parmi les spécialistes de la qualité, pour recentrer la manière de s’en servir dans les entreprises, et lui redonner la place qu’elle doit occuper parmi les moyens qui favorisent leurs développements dans un environnement en profonde mutation. Cet article est une de nos contributions à ce courant.

Comme la signification du terme qualité est complexe, on peut en avoir des visions partielles différentes : vision sociale, (bien faire), vision marketing (satisfaire le client), vision rationnelle (se conformer à un plan, un référentiel, une maquette, etc.), vision technologique (bonne performance technique), etc.

Lorsqu’on cherche à produire, et utiliser la qualité, avec une finalité économique, ce qui est le cas de tout dirigeant d’entreprise, la qualité n’est plus, comme dans les visions précédentes, une fin en soi, mais un moyen pour que les échanges, entre l’entreprise et les acteurs économiques qui l’entourent, soient durablement les plus profitables possibles pour l’entreprise.

C’est cette vision que les dirigeants ont de la qualité. C’est une vision différente des précédentes, qui est moins séduisante, mais plus utile.

Le qualiticien passionné sait parfaitement que c’est cette vision qui doit primer dans l’entreprise. Mais sa passion ne peut pas l’empêcher de faire transpirer ses autres visions, plus nobles, dans ses discours et comportements. Il provoque alors un doute permanent chez les managers et autres salariés : « le qualiticien voudrait-il faire jouer un autre rôle principal à l’entreprise que celui de créer des retours sur investissement financiers toujours plus importants ? »

Ce doute est souvent un  prétexte, pour faire passer la qualité au second rang dans leurs décisions, et leurs actions.

Pour faire entrer la qualité dans cette finalité de l’entreprise, le qualiticien introduit les notions de coût de la non-qualité, et de coût d’obtention de la qualité, qui sont destinés à montrer aux dirigeants que le management de la qualité peut contribuer à l’amélioration de la productivité. Cette démarche, fort utile, réduit la qualité à sa composante rationnelle qui consiste à obtenir du premier coup un résultat conforme à un objectif défini par des spécifications mesurables. Elle va jusqu’à chercher à limiter le plus possible la criticité des risques de non-conformité en rendant plus robuste la configuration de l’entreprise, au risque de lui faire perdre sa capacité à profiter des évolutions de son environnement pour progresser.

La perception de ce danger amène certains spécialistes du management à véhiculer de nouveaux messages de rupture, reposant sur des termes séduisants comme : « agilité », ou « entreprise libérée ». Ces concepts, présentés comme innovants, reprennent en réalité des idées appliquées depuis plus de cinquante ans dans de nombreuses entreprises. (Certes sans doute pas assez nombreuses)

On pourrait penser que ces démarches sont utiles parce qu’elles vont accentuer l’évolution d’un plus grand nombre d’entreprises vers une exploitation plus efficiente des opportunités nées de l’évolution de leurs environnements socio-économiques.

Malheureusement les slogans véhiculés, choisis pour être plus facilement repérés au milieu d’une foule de préconisations, toujours plus impressionnantes, pour améliorer le management des entreprises, sont de plus en plus perçus comme des potions magiques dont le seul intérêt est d’enrichir les consultants. Ces démarches ne sont donc plus crédibles aux yeux des dirigeants.

On retrouve les travers qui ont provoqué, pendant de nombreuses années, un usage trop limité de la qualité pour améliorer les performances des entreprises. Ces styles de management ne sont pas des fins en soi universelles, mais éventuellement des moyens, parmi d’autres, pour faire progresser certaines entreprises dans certaines situations. Ils sont d’ailleurs présentés comme cela par leurs créateurs.

Tous ces messages ne font que masquer une idée simple : 

« un des principaux usages de la qualité est d’utiliser la manière dont la qualité des prestations de l’entreprise, offertes à ses différentes parties prenantes, est perçue et jugée par elles, pour obtenir en contrepartie les ressources de son développement dans un milieu instable qui est porteur de très nombreuses opportunités. »

En présentant ce mode d’usage de la qualité, par une communication qui voudrait faire rêver, en  donnant l’impression de révolutionner le management, on ne fait que le décrédibiliser aux yeux des dirigeants plongés dans les réalités quotidiennes, alors qu’il est une composante essentielle des apports de la qualité au développement des entreprises. 

Une fois de plus la qualité va perdre une part importante de son crédit alors qu’elle pourrait jouer un rôle capital dans cette période de profondes mutations.

Pourquoi les erreurs, que nous avons certainement contribué à produire dans le passé, par manque d’humilité, pour promouvoir la qualité, se reproduisent-elles à nouveau ? Comment les éviter ?

La qualité comme moyen,  peut remplir des fonctions d’usage très différentes suivant la nature des relations qui existent ou qui devraient exister entre l’entreprise et chacun des acteurs qui l’entourent. (Séduction, satisfaction, confiance, rentabilité, conformité, accessibilité, etc.)

Suivant les fonctions d’usage de la qualité, la nature des relations de l’entreprise avec ces acteurs, et leurs histoires, la production de la qualité prendra aussi des formes très différentes. On ne produit pas de la même manière la qualité en front office et en back office. Et en back office on ne produit pas la qualité de la même manière lorsqu’on s‘en sert dans une fabrication unitaire, ou en série, en conception, ou dans une démarche d’innovation. Enfin, la qualité n’est pas utilisée de la même manière lorsqu’on est en situation de monopole ou de concurrence exacerbée.

La production de la qualité doit aussi s’adapter à tous les styles de management. La qualité ne peut pas être un style de management. Les spécialistes de la qualité ne sont pas qualifiés pour être des donneurs de leçons en matière de management. Je m’oppose depuis toujours au concept véhiculé depuis trente ans en France, et seulement en France, qui est celui de « management par la qualité ». On ne manage pas par la qualité, on utilise la qualité dans son management.

On peut tenter de recourir à des modèles de la systémique générale pour essayer de trouver des repères communs à toutes ces formes d’usage et de production de la qualité. Ces modèles permettent de créer une culture commune, et des conventions entre les différents acteurs.

La maîtrise de la complexité passe par l’élaboration de tels modèles provisoires qui évoluent en permanence au fur et à mesure que les connaissances s’enrichissent. Les normes ISO 9000 entre dans cette catégorie de moyens.

Mais ces modèles ne peuvent qu’être des moyens pour se repérer et échanger avec les acteurs qui sont en relation avec l’entreprise. Il n’est pas possible de réduire la maîtrise de la complexité de la production et de l’usage de la qualité dans une entreprise à la conformité à un modèle. Sinon on perd une part essentiel de l’usage possible de la complexité de l’entreprise pour assurer sa survie ou son développement. De plus ces modèles peuvent être contestés, dans certaines circonstances, comme moyens pour produire et utiliser la qualité.

La norme, prise comme une exigence universelle, est un danger excessivement grave qui nuit considérablement à l’efficience de l’usage et de la production de la qualité par les entreprises.

Ce n’est pas la norme qui est un danger, mais l’usage collectif coercitif qui en est fait.

De la même manière la boîte à outils à utiliser pour réaliser ces différentes formes de productions est donc obligatoirement vaste et ne peut pas se réduire à une méthodologie universelle de type : « couteau suisse ».

Par exemple, de nombreuses critiques portent aujourd’hui sur les méthodes classiques de résolution des problèmes qui font depuis de nombreuses années partie de la boîte à outils du qualiticien. Elles reposent sur des mécanismes logiques simplistes qui ne peuvent pas guider la résolution des problèmes complexes que rencontrent le plus souvent les entreprises. Elles renvoient systématiquement à la même classe de causalité qui n’est qu’un petit échantillon des causalités possibles, et engendre des solutions d’une faible efficience, rapidement contestées.

L’approche systémique des problèmes, le reengineering, sont d’autres méthodes qui dans certaines situations peuvent être très efficaces.

Là encore, ce n’est pas la méthode qui est en cause mais l’universalité de sa prescription par les qualiticiens qui fait souvent sourire les techniciens et les ingénieurs, qui dans leurs spécialités, ont recours à des outils spécifiques plus sophistiqués.

Ces exemples montrent que la production et l’usage de la qualité dans les entreprises doivent se fondre le plus naturellement possible dans les processus de l’entreprise, et dans les relations que l’entreprise entretient avec ses parties prenantes. Ce n’est pas l’entreprise, organe économique d’une très grande complexité, qui doit se conformer aux modèles des qualiticiens, mais les qualiticiens qui doivent adapter leurs contributions aux spécificités de l’entreprise, pour valoriser ses atouts.