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lundi 19 mai 2008

Les visions indigènes de la qualité :

Le terme qualité prend des sens différents en fonction du contexte sociologique dans lequel il se place. Une thèse réalisée dans le cadre de l'IRDQ, sous la direction du professeur de Sociologie du Travail : Pierre Tripier (*), a permis de mettre en évidence une classification de ces différents sens.

Nous avons appelé cette classification : « les visions indigènes de la qualité ».

Les classes principales de cette organisation des différents sens donnés à la qualité peuvent se décrire de la manière suivante.

On peut distinguer :

La vision artisanale qui se caractérise par la recherche d'une auto satisfaction de la part de celui qui réalise l'action qui produit la qualité : « l'œuvre que je réalise est de qualité si elle me satisfait, c'est-à-dire si elle correspond à ce que je souhaitais réaliser, ou à ce que je souhaitais ressentir en la réalisant. » On dit encore qu'il s'agit d'une vision « réflexive » de la qualité. Les artistes ou les artisans ont souvent cette vision de la qualité.

Je demandais un jour, à un chef de cuisine, au cours d'un diagnostic qualité réalisé dans un grand restaurant, quand est ce qu'il considérait avoir réalisé un plat de qualité ? Il me répondit que c'était lorsqu'il éprouvait du plaisir en le goûtant avant de le servir. Lorsque je lui faisais remarquer que ses clients n'appréciaient peut-être pas son plat de la même manière que lui, il me répondit qu'il ne souhaitait pas voir dans son restaurant ce type de clientèle. Je lui fis alors remarquer qu'il n'existait peut-être pas de clients en nombre suffisant, partageant ses propres goûts, pour développer son restaurant et que les goûts de sa clientèle étaient susceptibles d'évoluer différemment de ses propres goûts. Il reconnu alors, et seulement après cette longue discussion, qu'il était, en réalité très à l'écoute de ses clients, que cette écoute guidait sa créativité, et que ses propres goûts étaient, in fine, influencés par ceux de sa clientèle. Un artiste ou un artisan veut toujours avoir l'impression de garder le pouvoir de créer et de produire, comme il l'entend, dans sa relation avec ses clients. Il veut bien être jugé par ses pairs, lorsqu'il les considère comme des experts, mais pas par ses clients. Sa vision de la qualité ne peut devenir un « carburant » du « moteur de consommation » de ses produits ou de ses services que s'il stimule des besoins particuliers du marché qui sont : la recherche d'originalité, de moyens pour se différencier, ou pour se faire valoir dans la Société. Cette qualité peut créer de la « valeur de placement » lorsque le produit est durable et que l'artiste possède une grande notoriété.

La vision stratégique qui se caractérise par la recherche de la satisfaction des dirigeants d'une entreprise des impacts socio économiques à moyen terme de ses prestations : « si les produits ou les services produisent de bons retours sur investissement et améliorent ou maintiennent la notoriété de l'entreprise, ils sont de qualité. » On dit encore qu'il s'agit d'une vision « transitive » de la qualité.

Cette vision « entreprenariale » de la qualité est la recherche de la satisfaction des clients pour satisfaire ses propres ambitions ou celles de la coalition d'intérêts qu'on dirige. C'est forcément une vision à moyen terme car les effets attendus s'expriment en terme de retours financiers sur investissement et en terme de gain de notoriété. Le contexte économique actuel qui impose de privilégier les retours rapides sur investissement ne donnent pas beaucoup de valeur à ces visions.

Or, on constate que les entreprises qui sont durablement des « leaders » dans leur secteur d'activité, sont celles qui accordent systématiquement une priorité à cette vision de la qualité dans tous leurs choix stratégiques.

Au cours des conférences, que je réalise devant des chefs d'entreprises, je leur demande toujours ce qu'ils attendent des démarches qualité qui se développent dans leurs entreprises. Ils me répondent très souvent que ces démarches sont uniquement destinées à répondre aux exigences de leurs donneurs d'ordres ou à des normes qu'ils considèrent, à tort, comme des exigences légales.

Ces visions stratégiquement « défensives » de la qualité expliquent que dans certaines entreprises on décide d'investir, à minima, dans la qualité. La qualité est alors considérée comme une contrainte sociétale parmi d'autres qu'il faut subir en dépensant le moins d'énergie possible. Ces visions sont dangereuses à moyen terme car elles nécessitent des dépenses lourdes qui n'assurent qu'un maintien éphémère sur le marché.

La vision marketing se caractérise par la recherche de la satisfaction des clients qui consomment les produits ou les services de l'entreprise : « si les clients sont satisfaits les produits ou les services sont de qualité. » On dit encore qu'il s'agit d'une vision « utopique » de la qualité.

Cette vision, qui a été largement médiatisée au cours des dernières décennies, est très dangereuse. Elle crée une relation de type « maître, esclave » entre les salariés de l'entreprise et ses clients. Les salariés se sentent comme étant à la solde des clients. Les enquêtes de satisfaction deviennent l'indicateur principal des performances de l'entreprise. Le marché risque d'épuiser complètement l'entreprise en ne lui procurant pas les contreparties qu'elle est en droit d'espérer pour s'alimenter.

Cette vision n'est jamais durable, elle n'est partagée par les salariés que lorsque la direction dramatise la position de l'entreprise sur son marché face à une concurrence exacerbée.

Cette vision est souvent le signe que l'entreprise ne possède plus de facteurs attractifs basé sur sa notoriété ou le « potentiel qualité » de ses produits ou de ses services, c'est-à-dire la capacité reconnue des produits ou services à répondre mieux que la concurrence à des attentes fortes du marché.

Nous avons constaté, au cours de nos interventions en entreprises, que le « tout satisfaction clients » ne pouvait créer une dynamique collective de progrès que si cette vision s'inscrivait dans une stratégie qualité crédible qui la justifiait et annonçait des retombées pour l'entreprise et pour les salariés.

La vision ingénieur se caractérise par la recherche des performances techniques les plus élevées des technologies utilisées pour réaliser les produits ou les services : « si les performances techniques des technologies utilisées sont optimales et durables les produits ou les services sont de qualité. » On dit encore qu'il s'agit d'une vision « technique » de la qualité.

Cette vision est souvent la source de production de « surqualité » c'est-à-dire de caractéristiques des produits ou des services qui nécessitent des investissements et des dépenses importantes sans contribuer à la satisfaction d'attentes ou de besoins des clients. On dit encore que l'ingénieur s'est « fait plaisir » en concevant ces caractéristiques. C'est aussi souvent pour assurer une meilleure maîtrise de risques qui ne sont pas considérés, par les utilisateurs des produits ou des services, comme « critiques » que les ingénieurs produisent cette « surqualité ».

Les dangers de la « vision ingénieur » de la qualité proviennent du fait que la « surqualité », qu'elle induit, diminue, souvent inutilement, d'une manière importante les marges bénéficiaires sans qu'il soit possible de détecter cette situation. C'est lorsque la concurrence sur les prix devient forte et que l'entreprise a perdu des parts de marché que l'attention est portée sur ce facteur de perte de compétitivité.

La vision normative se caractérise par la recherche de la conformité des produits ou des services ou encore de leurs modes de production, à des modèles de référence : « si les mesures de conformité des caractéristiques des produits ou des services ou de leur mode de production sont situées dans les intervalles de tolérances prédéfinis, alors les produits ou les services sont de qualité. » On dit encore qu'il s'agit d'une vision « technocratique » de la qualité.

La complexité de la production de la qualité nécessite de mettre à la disposition des salariés de repères qui guident leurs actions. Mais ces repères ne peuvent, en aucun cas, être une finalité des actions qu'ils guident. Il existe quatre logiques de repérage des activités de production. Malheureusement la vision « normative » de la qualité impose le recours à une seule de ces logiques. Cette logique est au cœur des « procédures ». Cette vision réduit la production de la qualité à un enchaînement logique d'événements « rationnels », objectivable, dans un souci louable de réduction de la variabilité des actions reproductibles. Mais elle a souvent tendance à transformer le salarié en un automate. Cette situation provoque une démotivation des salariés et une perte de vigilance lorsque ce type de système de guidage n'est pas justifié par l'amélioration des performances de la production de la qualité, mais est rendu nécessaire pour se conformer à un « référentiel » normatif.

Conclusions :

Ces visions partielles de la « qualité » sont influencées par la nature du système de production de la qualité auquel appartiennent les individus qui les possèdent, ou par leur position dans ce système ou encore par leur culture de base.

Mais c'est aussi cette vision partielle, a priori, de la qualité qui peut inciter une personne à s'investir dans un type particulier de système de production, parce qu'elle pense qu'elle pourra se réaliser le mieux possible, en contribuant à créer de la valeur dans ce système, qui rassemble des acteurs qui possèdent cette même nature de vision de la qualité.

Il est alors difficile de faire évoluer la vision de la qualité d'une personne engagée dans une telle démarche d'autant plus que sa vision partielle, a priori, de la qualité est presque toujours un des reflets de sa culture.